dimanche 13 mars 2016

Résultats et brève analyse des élections dans trois Länder allemands (13/3/2016)

 1. - LES RÉSULTATS

Légendes = Traduction

CDU = Chrétiens-Démocrates
FDP = Libéraux
AfD = Droite nationaliste et euro-sceptique

SPD = Sociaux-Démocrates
Grüne = Les Verts
Linke = Parti de Gauche

Sonstige = Divers

Prozente = Pourcentages (min. 5% des voix pour entrer au parlement - résultats de 2011 en gris/pastel)
Gewinne und Verluste = Gains et Pertes (par rapport à 2011)
Sitzverteilung (Sitze) = Répartition des sièges dans le parlement du Land
Mehrheit = Majorité

ARD/ZDF = Estimations des deux chaînes publiques allemandes (état: 13/03/2016 ~ 22h)


 BADE-WURTEMBERG
(Capitale: Stuttgart)
Participation:  70,4% (66,2% en 2011)


RHÉNANIE-PALATINAT
(Capitale: Mayence)
Participation:  70,4% (61,8% en 2011)

SAXE-ANHALT
(Capitale: Magdebourg)
Participation:  61,1% (51,2% en 2011)
Source : Der Spiegel 



2. - BRÈVE ANALYSE


Ce qui bien évidemment fait les gros titres en Allemagne et sans doute dans d'autres pays européens - Der Spiegel: Affront National (!) - c'est la percée de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), qui fait son entrée dans les trois parlements élus au cours de ce "super-dimanche électoral". - Il s'agit certes d'élections régionales, qui pèsent cependant plus lourd dans une république fédérale que dans un régime largement centralisé - et présidentiel de surcroît - tel que la France. De plus, à l'approche des élections du Bundestag (septembre 2017), ces trois "Landtagswahlen" constituent un test autrement plus significatif que les sempiternels sondages avec leur effet rétroactif sur l'expression réelle des citoyens.

On constate d'ailleurs que la CDU de la chancelière Angela Merkel est l'une des grandes perdantes de ces scrutins, notamment dans le duel en Rhénanie-Palatinat (RP) remporté par la social-démocrate Malu Dreyer contre la très médiatique chrétienne-démocrate Julia Klöckner. Néanmoins le SPD du vice-chancelier Sigmar Gabriel n'a aucune raison de pavoiser puisqu'il perd respectivement 15 et 16 sièges dans les deux autres Länder. Enfin, malgré le résultat exceptionnel des Verts au Bade-Wurtemberg (BW), où le grand vainqueur Winfried Kretschmann doit pourtant craindre pour sa réélection, les écologistes essuient également des pertes ailleurs, le vote utile en faveur de Malu Dreyer expliquant peut-être en partie les 12 sièges perdus en RP.

Quant au vote AfD, qui totalise tout de même 24,2% des suffrages dans le Land oriental (ex-RDA) de Saxe-Anhalt (SA) contre 15,1% au BW et 12,6% en RP, les commentateurs l'expliquent en grande partie par la "crise des réfugiés", les électeurs interviewés redoutant notamment une augmentation de la criminalité et une montée de l'islam. Toutefois, si le caractère populiste de ce parti est indéniable, une information récente peut surprendre : en effet, un certain nombre d'électeurs de l'AfD se sont déclarés prêts à voter pour la CSU, partenaire de coalition traditionnel de la CDU, si ce parti n'était pas une exclusivité bavaroise. La critique récente de son chef Horst Seehofer vis-à-vis de la "politique de bienvenue" de la chancelière n'est probablement pas pour rien dans ces déclarations de sympathie car, au risque de provoquer une mini-crise gouvernementale, la CSU réclame des quotas et un contrôle aux frontières.

Il convient donc de nuancer. Depuis sa création en 2012 par des anciens de la CDU comme Bernd Lucke  qui, depuis, a pris ses distances avec l'AfD, ce parti - naguère simplement libéral et prônant le retour au mark - a considérablement changé, puisque sa nouvelle patronne, Frauke Petry, n'a jamais caché ses sympathies pour le mouvement Pegida, même si la recherche de respectabilité due à sa fonction lui interdit désormais les déclarations d'amour en public. Il faut ajouter les récentes tentatives de rapprochement opérées notamment en RP par le NPD, parti ouvertement raciste et néo-nazi, dont l'interdiction est débattue en ce moment même par la Cour Constitutionnelle : si elles sont officiellement rejetées par l'AfD, ces avances confirment cependant l'existence d'une zone grise extrêmement dangereuse. - Or, c'est également un argument pour distinguer ce parti - et l'idéologie haineuse, la rhétorique pyromane de Björn Höcke, l'un de ses harangueurs en chef  - de l'électorat qui lui fait actuellement crédit, comme il conviendrait également de le faire pour le FN. En effet, cet électorat est loin d'être homogène, les extrêmes y côtoient les laissés pour compte qui ont compris - ou croient comprendre - que les politiciens établis ne peuvent - ou ne veulent -  plus régler leurs problèmes, mais également une partie de la classe dite moyenne, où l'on craint une descente aux enfers de la pauvreté dont, tel un trou noir, la densité ne cesse d'augmenter.

Cette légitime inquiétude en cache une autre, tout aussi pressante : Dans ces conditions, quel est l'avenir de nos démocraties ? - Que la question ne puisse être tranchée ici ne doit pas nous empêcher de la poser. À l'image de la catastrophe française de 2002 qui, comble de misère, menace de se reproduire en 2017, la percée de l'AfD montre les limites de nos régimes politiques. Comme le FN, ce parti refuse tout compromis, toute coalition, car son discours "anti-système" s'effondrerait alors et son électorat comprendrait que toutes ses gesticulations n'étaient que rhétoriques. - Mais puisque telle est leur ambition, comment ces partis comptent-ils arriver au pouvoir ? - Lors des dernières élections libres de la République de Weimar (novembre 1932), le NSDAP lui-même ne totalisait que 33,1% des suffrages exprimés. Il aura fallu un Président de la République mi-cynique mi-sénile (Hindenburg) pour nommer le chancelier A.H. qui dès le 30 janvier 1933 saborda la première démocratie allemande. - Oui, si tant est qu'un tel président n'existe plus et qu'une telle nomination sur la base d'un tiers des voix semble désormais impossible, comment ces partis comptent-ils donc arriver au pouvoir ? - Je n'ai pas souvenir qu'une telle question ait jamais été posée à l'un de leurs responsables. Car je me souviendrais certainement de la réponse !

La preuve du blocage de la démocratie dans une élection présidentielle à deux tours par la présence au second d'un membre de l'entreprise familiale Le Pen n'est plus à faire, mais la situation n'est guère plus reluisante lorsqu'un parti "anti-système" prend un quart des sièges dans un parlement - Landtag ou Bundestag - appelé à élire le chef du gouvernement. En SA, les 29,8% (30 sièges) de Reiner Haselhoff (CDU) et les 10,7% (11 sièges) du SPD font face aux 24,2% (24 sièges) de l'AfD et aux 16,2% (16 sièges) du Parti de Gauche, les 9% pour les "divers" ne se traduisant pas en sièges. Restent les 5,2% (5 sièges) des Verts, qui voudront également avoir leur mot à dire. La majorité étant de 44 sièges (sur 87), on voit que le problème est quasi insoluble. Il faut une improbable coalition CDU/SPD/Verts pour former une majorité, qui sera difficile à gérer pour Haselhoff. - Si en RP, on s'achemine vers une Grande Coalition CDU/SPD et la réélection de Malu Dreyer, qui pourrait également tenter le grand écart avec les Verts et les libéraux du FDP, Wilfried Kretschmann ne pourra se maintenir qu'avec le soutien de la CDU ou bien celui du SPD et du FDP, et il aurait du mal à imposer une politique écologique consistante dans le BW sous la menace d'une autre majorité possible : la coalition SPD/CDU/FDP, qui serait alors dirigée par un ministre-président de la CDU (Guido Wolf). Gageons que les 23 parlementaires de l'AfD risquent ici aussi de perturber sérieusement ce que l'on nomme parfois, avec une bonne dose d'idéalisme, "les actions pour le bien commun".


3. - RÉCAPITULATIF : LES TROIS PARLEMENTS
(nombre de sièges - résultats officiels - source: ZDF)

(Majorité: 72)


(Majorité: 51)


 (Majorité: 44)

NOTA (25 mars). - Après une panne dans le décompte des voix, l'AfD obtient un siège de plus en Saxe-Anhalt (soit 25) au dépens du Parti de Gauche qui n'aura que 16 députés.

11 commentaires:

  1. Cher SK,

    Je n'arrive pas à entrer dans toutes les subtilités de la politique allemande (je ne m'en sors déjà pas avec les sigles de tous ses partis), je constate seulement, si je ne me trompe pas, qu'Angela Merkel paie le prix de son courage isolé en matière d'accueil des réfugiés au niveau européen. Je suppose qu'elle escomptait une réaction similaire de la part d'autres pays européens, en particulier de la part de son plus important partenaire, la France, mais elle n'est pas venue...

    Dire qu'il y a à peine deux ans, je crois, l'Union Européenne se voyait décerner le Prix Nobel de la Paix. Moi, aujourd'hui, j'ai honte.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hello !

      Le paysage politique allemand, s'il garde certaines particularités, est comparable à celui de la France :

      CDU = "Républicains"
      SPD = PS
      Grüne = Les Verts
      Linke = Parti de Gauche
      AfD = FN

      Le FDP (en perte de vitesse) représente le courant "ultra-libéral".
      La CSU bavaroise forme l'aile droite de la CDU qui, elle, est orientée plus au centre que les "Républicains" français.

      L'AfD est une formation récente (2012), alors que le FN est devenu une sorte d'institution en France (avec la présidentielle de 2002).
      De plus, comme je le dis dans la note, l'AfD n'est devenue ce qu'elle est aujourd'hui qu'avec le départ de ses fondateurs (des anciens de la CDU) et l'émergence du mouvement Pegida dirigé par Lutz Bachmann et principalement ancré dans l'est du pays. Vu le passé de l'Allemagne et le travail d'éducation soutenu qui continue d'être fait partout ("durcharbeiten"), j'ai tout de même bon espoir qu'un frein sera mis à cette dérive vers l'extrême-droite, légal s'il le faut, une procédure d'interdiction du NPD étant en cours et vu l'évolution des choses, il est fort possible qu'elle aboutisse. Il y aurait alors deux conséquences : l'une, positive, est le signal fort et l'avertissement que la Cour Constitutionnelle aura émis ; l'autre, négative, que l'électorat du NPD (entre 0,6 et 2% dans la plupart des Länder, 3,6 et 4,6% en Thuringe et dans la SA, mais tout de même 6% au Meckembourg, ces trois Länder situés à l'est) vienne grossir les rangs de l'AfD.

      Voilà pour l'heure, chère Plumeplume

      Supprimer
    2. Oh ! Grand merci SK pour vos éclaircissements.

      Supprimer
    3. La question de la dissolution du FN avait été soulevée à certaines époques, son fondateur étant enclin à de fréquents dérapages. Désormais le discours est un peu lissé, il ne semble pas qu'il y ait des motifs juridiques pour engager une demande de dissolution. De toutes façons l'aile droite des Républicains n'en n'est guère éloignée, la dame Morano par exemple, de même que certains essayistes en vogue.
      Mais de manière plus fondamentale, s'il n'y a pas de relai politique des courants d'opinion, des mouvements subversifs s'y substitueront. Pas facile de trouver le bon équilibre.

      Supprimer
  2. Guten Abend, SK. La France ne fait plus figure d'exception, le phénomène de la droite nationaliste se répand en Europe de l'Ouest, plus atténué en Allemagne que chez nous pour l'instant du fait de la situation économico-sociale moins dégradée.
    On peut moraliser en salon, mais les faits de société sont têtus, un flot aussi massif et soudain de migrants dépasse les capacités d'accueil et d'intégration, ce qui crée inéluctablement des tensions et rejets. Les discours politico-médiatiques lénifiants des mois précédents relevaient de la méthode Coué, et les incidents de la Saint Sylvestre ont eu une incidence négative sur l'opinion (avec du reste des malentendus).
    Je trouve fort de café de reprocher à la France de ne pas avoir pris une part suffisante alors qu'elle accueille en année normale 200 à 250 000 arrivants, ce n'est pas à la chancelière d'imposer au reste de l'Europe son impérium sur cette question, il aurait fallu d'abord se concerter pour fixer les objectifs, ensuite mettre en place les moyens d'accueil et de régulation, avant de battre le rappel.
    Par ailleurs, l'absence de solidarité intra-européenne concernant l'emploi des jeunes des pays de l'Union plutôt que le recours massif à l'immigration du travail à bas coût accentue les divisions au sein de l'UE.
    Et tout ça pour faire désormais volte face, bloquer les frontières intérieures après avoir ouvert les frontières extérieures. La volée de bois vert électorale était inéluctable, et ne pouvait pas profiter aux partis plus à gauche.
    Concernant spécifiquement la remarque sur l'élection présidentielle de 2002, j'ai une autre lecture, c'est qu'au second tour le candidat FN avait alors été laminé. Une telle situation en 2017 conduirait à un moindre écart, et peut-être une majorité parlementaire introuvable en cas de proportionnelle (du reste l'actuelle majorité semble avoir renoncé à changer le mode de scrutin, le scrutin majoritaire préserve un "plafond de verre" dans chaque circonscription, mais le plafond sera percé dans un bon nombre).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hallo Nolats! D'accord dans les grandes lignes...

      Le problème de 2002 cependant n'est pas le score à peu près identique de JMLP mais l'absence de Jospin - et donc de choix démocratique - au second tour. Et cela risque de se reproduire : tout le monde le sait et le dit, mais personne ne fait rien...

      Merkel a fait des erreurs, d'abord celle d'avoir été incapable d'anticiper l'effet d'annonce`à l'heure des smartphones et des réseaux. Elle s'était déjà un peu ridiculisée avec son approche très approximative d'internet, mais là elle - et son staff de conseillers en "monde contemporain" - n'ont pas compris que quelques minutes après avoir été prononcée l'invitation était sur les écrans de millions de pauvres gens, et en arabe s'il vous plaît !

      Je ne connais pas les chiffres que vous citez, mais j'ai eu honte pour Valls quand je l'ai entendu dire à Munich qu'il prenait "30.000" réfugiés... Imaginez que vous avez un besoin urgent et vital d'emprunter 100€ et que je condescende à vous en passer 3 en vous souhaitant un bon appétit !

      Qu'il aurait dû y avoir concertation en amont : je suis entièrement d'accord avec vous !

      Pareil pour les chômeurs européens, mais nous voilà revenu au chapitre de l'Europe sociale...

      À bientôt.

      Supprimer
    2. SK, juste une précision à propos des 24 000 réfugiés que la France s'était engagée à accueillir. En fait, il s'était agit alors de statuer pour 120 000 réfugiés présents en Europe, la part de la France était de 20%, avec une proposition de répartition dans les régions et un budget. Par la suite, il a été question de 30 000, mais on ne sait plus par rapport à quel nombre global en Europe, les 120 000 étant devenus un million dans les faits. Mais on ne sait pas, en réalité, distinguer le flux migratoire "en régime normal" comprenant déjà des réfugiés de pays déstabilisés, par rapport aux arrivées supplémentaires spécifiques en provenance de Syrie/Irak, voire Afghanistan et Érythrée. Les citoyens se sentent bernés par des chiffres partiels, comme ce fut le cas lorsque fut annoncé il y a deux ou trois mois l'arrivée des "premiers" migrants accueillis en France, alors que le camp de Calais était déjà bondé, et que des dizaines milliers de demandes d'asiles étaient en instruction. ça se répercute dans les urnes.

      Supprimer
    3. http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2016/01/12/la-france-a-accepte-27-de-refugies-de-plus-en-2015_4845698_1654200.html

      Supprimer
    4. Il y a environ 80 000 demandes d'asile en instance en France, sachant que quelle que soit la décision 90% de ceux ayant effectué une demande restent sur le territoire. C'est ce chiffre global qui est significatif, non pas de comptabiliser chaque flux séparément. Il faut également intégrer sur plusieurs décennies, puisque les migrations ne sont pas apparues hier, ni ne s'arrêteront demain.

      Supprimer
  3. C'est curieux le très gros score des verts dans le Bade Wurtemberg, alors qu'il s'est ramassé une veste en Rhénanie.
    En France, le parti écologiste est très démonétisé du fait de ses divisions et combinaisons politiciennes, j'ai quand même voté pour lui aux régionales (pour la première fois de ma vie civique) pour des raisons purement locales.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Dans le BW ce résultat est dû entre autres à la personnalité de Kretschmann. En RP, on a voté utile en faveur de Malu Dreyer (SPD) prise dans un mano a mano avec Julia Klöckner (CDU) qui a fait le tour des popottes médiatiques, allant jusqu'à attaquer son propre camp (Merkel) sur la politique des réfugiés...

      Le vote écologiste est souvent motivé par des préoccupations locales...

      Supprimer