mercredi 30 mars 2016

Populisme



La tendance au populisme dans le monde occidental n'aura échappé à personne. Plutôt bien ancré en France et dans d'autres pays de l'Union (ici), il s'empare à nouveau de l'Allemagne et menace les États-Unis. Mais, comme le concept antagonique de la « bien-pensance » ou du « politiquement correct », ce terme de « populisme » est devenu un fourre-tout à vocation polémique, où cohabitent les Mélenchon, Le Pen, Poutine, Erdoğan, Orbán, Petry, Trump, Berlusconi et al.

Tout le monde aura également remarqué le durcissement des conditions de vie, l'augmentation du fossé entre riches et pauvres, les conflits interminables aux portes de l'Europe et l'afflux de migrants qui fuient non seulement les scènes de guerre et les massacres, mais également la misère causée par une mauvaise gestion des ressources et une destruction progressive de l'habitat naturel, cette migration du Sud vers le Nord ayant été prévue depuis longtemps, car elle est la conséquence logique de l'évolution du monde sous la houlette de l'économie ultra-libérale avec son « anything goes » (au nom du profit).

L'impuissance actuelle du pouvoir politique face à la détérioration constante de la situation économique, mais aussi le vide idéologique et la misère intellectuelle ont ouvert une voie royale aux populistes : se situant en dehors de ce qu'ils appellent le « système », abordant les « vrais problèmes » (ceux du « pays réel ») et entendant soulager « la souffrance du peuple », ils s'érigent en « sauveurs de la Nation ».

Deux constantes : les problèmes sont simples et la magie du verbe permet de les résoudre par simple conjuration rhétorique. Or, devant la prise en main effective du monde par le pouvoir économique globalisé, toute réduction de complexité se trouve confrontée à la difficulté suivante : bien que profondément injuste – comme l'ont été les régimes féodaux ou monarchiques (absolutistes) du passé – ce système garantit à la fois – du moins pour le moment et sous nos latitudes ! – l'existence d'un État de droit et d'une protection sociale, la liberté d'expression et la séparation – revenue à l'ordre du jour – des pouvoirs politique et religieux, ce dernier n'ayant en principe aucun droit de s'exercer dans l'espace public.

Il faut dire que, dans la furie rhétorique du monde contemporain, on assiste à une sorte d'inflation des concepts, des terminologies, et l'on se demande si les mots ont encore un sens et un lien quelconque avec la fameuse « réalité » ou « vérité » sans cesse invoquées, s'ils engagent encore un tant soit peu leur énonciateur ou s'ils sont devenus de simples jetons démonétisés que l'on se balance à la figure au gré des polémiques ambiantes. Si, comme à l'époque du fascisme qui fut l'un des premiers populismes des temps modernes, les intellectuels ont à nouveau mauvaise presse – ce dont ils sont certes en partie responsables – il faudrait pourtant que nos analystes patentés s'attaquent de toute urgence à la rhétorique populiste contemporaine pour montrer ce qu'elle est d'abord et avant tout : une rhétorique. - En effet, la fonction première de la parole est de « présenter » ce qui est absent et, par extension, ce qui ne saurait exister : l'utopie. Ainsi, la parole est intimement liée aux idées, aux idéaux, par définition inaccessibles. C'est là un outil magnifique, éminemment civilisateur. Or, le mensonge consiste à faire croire au « peuple » qu'il est possible de réaliser l'utopie, puisqu'il suffit de la verbaliser pour la rendre « présente », pour lui assigner un « topos », qui n'est pourtant jamais qu'un lieu du discours.

Si la mise en évidence de leurs standards rhétoriques est indispensable, les populistes se caractérisent également - avec leur prédilection pour un peuple épuré par leurs soins et une farouche volonté d'exacerber les polarités et les conflits – par leur refus de tout compromis et donc des alliances démocratiques : Face aux quelque 5000 ans d'histoire humaine qui nous sont accessibles, il faut alors se demander si – tout comme les « Trente Glorieuses » – la démocratie telle que nous l'expérimentons en Occident ne relève pas elle aussi d'une « parenthèse enchantée » avant un nouveau saut dans l'abîme de l'autocratie.

Une question se pose alors :  Le système démocratique et l'État de droit ne sont-ils concevables qu'au sein de l'économie libérale qui leur a donné naissance à la faveur des révolutions dites « bourgeoises » de la fin du 18e Siècle ? Ou bien, formulée à l'envers : Un système économique plus juste et donc au moins partiellement sous tutelle étatique n'implique-t-il pas automatiquement une gouvernance autoritaire et une restriction des libertés publiques ?

Mais, au fait, comment se portent la Hongrie de M. Orbán, la Russie de M. Poutine ou la Turquie de M. Erdoğan ? Peut-on dire que ces politiciens agissent dans l'intérêt des peuples, des nations qu'ils dirigent ? Est-ce que l'évident déficit de démocratie est compensé par plus de justice sociale ? Ou bien la corruption, l'oligarchie, l'ultra-libéralisme sévissent-il là-bas comme ici ? Questions rhétoriques ?

dimanche 13 mars 2016

Résultats et brève analyse des élections dans trois Länder allemands (13/3/2016)

 1. - LES RÉSULTATS

Légendes = Traduction

CDU = Chrétiens-Démocrates
FDP = Libéraux
AfD = Droite nationaliste et euro-sceptique

SPD = Sociaux-Démocrates
Grüne = Les Verts
Linke = Parti de Gauche

Sonstige = Divers

Prozente = Pourcentages (min. 5% des voix pour entrer au parlement - résultats de 2011 en gris/pastel)
Gewinne und Verluste = Gains et Pertes (par rapport à 2011)
Sitzverteilung (Sitze) = Répartition des sièges dans le parlement du Land
Mehrheit = Majorité

ARD/ZDF = Estimations des deux chaînes publiques allemandes (état: 13/03/2016 ~ 22h)


 BADE-WURTEMBERG
(Capitale: Stuttgart)
Participation:  70,4% (66,2% en 2011)


RHÉNANIE-PALATINAT
(Capitale: Mayence)
Participation:  70,4% (61,8% en 2011)

SAXE-ANHALT
(Capitale: Magdebourg)
Participation:  61,1% (51,2% en 2011)
Source : Der Spiegel 



2. - BRÈVE ANALYSE


Ce qui bien évidemment fait les gros titres en Allemagne et sans doute dans d'autres pays européens - Der Spiegel: Affront National (!) - c'est la percée de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), qui fait son entrée dans les trois parlements élus au cours de ce "super-dimanche électoral". - Il s'agit certes d'élections régionales, qui pèsent cependant plus lourd dans une république fédérale que dans un régime largement centralisé - et présidentiel de surcroît - tel que la France. De plus, à l'approche des élections du Bundestag (septembre 2017), ces trois "Landtagswahlen" constituent un test autrement plus significatif que les sempiternels sondages avec leur effet rétroactif sur l'expression réelle des citoyens.

On constate d'ailleurs que la CDU de la chancelière Angela Merkel est l'une des grandes perdantes de ces scrutins, notamment dans le duel en Rhénanie-Palatinat (RP) remporté par la social-démocrate Malu Dreyer contre la très médiatique chrétienne-démocrate Julia Klöckner. Néanmoins le SPD du vice-chancelier Sigmar Gabriel n'a aucune raison de pavoiser puisqu'il perd respectivement 15 et 16 sièges dans les deux autres Länder. Enfin, malgré le résultat exceptionnel des Verts au Bade-Wurtemberg (BW), où le grand vainqueur Winfried Kretschmann doit pourtant craindre pour sa réélection, les écologistes essuient également des pertes ailleurs, le vote utile en faveur de Malu Dreyer expliquant peut-être en partie les 12 sièges perdus en RP.

Quant au vote AfD, qui totalise tout de même 24,2% des suffrages dans le Land oriental (ex-RDA) de Saxe-Anhalt (SA) contre 15,1% au BW et 12,6% en RP, les commentateurs l'expliquent en grande partie par la "crise des réfugiés", les électeurs interviewés redoutant notamment une augmentation de la criminalité et une montée de l'islam. Toutefois, si le caractère populiste de ce parti est indéniable, une information récente peut surprendre : en effet, un certain nombre d'électeurs de l'AfD se sont déclarés prêts à voter pour la CSU, partenaire de coalition traditionnel de la CDU, si ce parti n'était pas une exclusivité bavaroise. La critique récente de son chef Horst Seehofer vis-à-vis de la "politique de bienvenue" de la chancelière n'est probablement pas pour rien dans ces déclarations de sympathie car, au risque de provoquer une mini-crise gouvernementale, la CSU réclame des quotas et un contrôle aux frontières.

Il convient donc de nuancer. Depuis sa création en 2012 par des anciens de la CDU comme Bernd Lucke  qui, depuis, a pris ses distances avec l'AfD, ce parti - naguère simplement libéral et prônant le retour au mark - a considérablement changé, puisque sa nouvelle patronne, Frauke Petry, n'a jamais caché ses sympathies pour le mouvement Pegida, même si la recherche de respectabilité due à sa fonction lui interdit désormais les déclarations d'amour en public. Il faut ajouter les récentes tentatives de rapprochement opérées notamment en RP par le NPD, parti ouvertement raciste et néo-nazi, dont l'interdiction est débattue en ce moment même par la Cour Constitutionnelle : si elles sont officiellement rejetées par l'AfD, ces avances confirment cependant l'existence d'une zone grise extrêmement dangereuse. - Or, c'est également un argument pour distinguer ce parti - et l'idéologie haineuse, la rhétorique pyromane de Björn Höcke, l'un de ses harangueurs en chef  - de l'électorat qui lui fait actuellement crédit, comme il conviendrait également de le faire pour le FN. En effet, cet électorat est loin d'être homogène, les extrêmes y côtoient les laissés pour compte qui ont compris - ou croient comprendre - que les politiciens établis ne peuvent - ou ne veulent -  plus régler leurs problèmes, mais également une partie de la classe dite moyenne, où l'on craint une descente aux enfers de la pauvreté dont, tel un trou noir, la densité ne cesse d'augmenter.

Cette légitime inquiétude en cache une autre, tout aussi pressante : Dans ces conditions, quel est l'avenir de nos démocraties ? - Que la question ne puisse être tranchée ici ne doit pas nous empêcher de la poser. À l'image de la catastrophe française de 2002 qui, comble de misère, menace de se reproduire en 2017, la percée de l'AfD montre les limites de nos régimes politiques. Comme le FN, ce parti refuse tout compromis, toute coalition, car son discours "anti-système" s'effondrerait alors et son électorat comprendrait que toutes ses gesticulations n'étaient que rhétoriques. - Mais puisque telle est leur ambition, comment ces partis comptent-ils arriver au pouvoir ? - Lors des dernières élections libres de la République de Weimar (novembre 1932), le NSDAP lui-même ne totalisait que 33,1% des suffrages exprimés. Il aura fallu un Président de la République mi-cynique mi-sénile (Hindenburg) pour nommer le chancelier A.H. qui dès le 30 janvier 1933 saborda la première démocratie allemande. - Oui, si tant est qu'un tel président n'existe plus et qu'une telle nomination sur la base d'un tiers des voix semble désormais impossible, comment ces partis comptent-ils donc arriver au pouvoir ? - Je n'ai pas souvenir qu'une telle question ait jamais été posée à l'un de leurs responsables. Car je me souviendrais certainement de la réponse !

La preuve du blocage de la démocratie dans une élection présidentielle à deux tours par la présence au second d'un membre de l'entreprise familiale Le Pen n'est plus à faire, mais la situation n'est guère plus reluisante lorsqu'un parti "anti-système" prend un quart des sièges dans un parlement - Landtag ou Bundestag - appelé à élire le chef du gouvernement. En SA, les 29,8% (30 sièges) de Reiner Haselhoff (CDU) et les 10,7% (11 sièges) du SPD font face aux 24,2% (24 sièges) de l'AfD et aux 16,2% (16 sièges) du Parti de Gauche, les 9% pour les "divers" ne se traduisant pas en sièges. Restent les 5,2% (5 sièges) des Verts, qui voudront également avoir leur mot à dire. La majorité étant de 44 sièges (sur 87), on voit que le problème est quasi insoluble. Il faut une improbable coalition CDU/SPD/Verts pour former une majorité, qui sera difficile à gérer pour Haselhoff. - Si en RP, on s'achemine vers une Grande Coalition CDU/SPD et la réélection de Malu Dreyer, qui pourrait également tenter le grand écart avec les Verts et les libéraux du FDP, Wilfried Kretschmann ne pourra se maintenir qu'avec le soutien de la CDU ou bien celui du SPD et du FDP, et il aurait du mal à imposer une politique écologique consistante dans le BW sous la menace d'une autre majorité possible : la coalition SPD/CDU/FDP, qui serait alors dirigée par un ministre-président de la CDU (Guido Wolf). Gageons que les 23 parlementaires de l'AfD risquent ici aussi de perturber sérieusement ce que l'on nomme parfois, avec une bonne dose d'idéalisme, "les actions pour le bien commun".


3. - RÉCAPITULATIF : LES TROIS PARLEMENTS
(nombre de sièges - résultats officiels - source: ZDF)

(Majorité: 72)


(Majorité: 51)


 (Majorité: 44)

NOTA (25 mars). - Après une panne dans le décompte des voix, l'AfD obtient un siège de plus en Saxe-Anhalt (soit 25) au dépens du Parti de Gauche qui n'aura que 16 députés.