dimanche 31 août 2014

Prérequis de débat

Pour qu'il y ait débat, il faut que les débatteurs soient ouverts : l'important, à mes yeux, n'est pas seulement de mettre en avant sa propre théorie, ce qui est parfaitement légitime, mais aussi et surtout de l'éprouver dans la confrontation avec d'autres, et notamment ceux qui, comme on dit, "en connaissent un rayon". Je prends - une fois n'est pas coutume - un exemple personnel : l'autre jour je discutais avec un militaire expérimenté, sans doute un haut gradé, à qui j'exposais ma théorie sur l'affaire d'espionnage qui avait conduit le chancelier Willy Brandt à la démission. Pour rappel : Günter Guillaume, agent de la Stasi est-allemande, était en poste à la chancellerie de RFA comme conseiller de Willy Brandt, c'est-à-dire dans une position où non seulement il avait accès aux "informations classifiées", mais où il pouvait de plus influer sur la politique gouvernementale en dispensant ses "conseils". Après deux ans de service (1972-74), l'espion fut découvert et le chancelier démissionna dans la foulée. Ma théorie fut la suivante : La mission de Guillaume consistait en réalité à se faire découvrir à un moment jugé opportun par la RDA pour faire tomber Willy Brandt, devenu trop populaire à l'Est. - Or, mon interlocuteur objecta ceci : La RDA avait réussi un coup de maître en plaçant l'un de ses hommes dans cette position, ce qui présentait une chance inouïe et un avantage considérable. Il était inconcevable de le faire sauter et d'abandonner ainsi la place : "S'il avait pu rester dix ans, il serait resté dix ans", conclut le militaire. Je ne pouvais qu'acquiescer. Et, s'il n'avait pas complètement invalidé mon hypothèse, puisque pour l'instant on n'en sait toujours rien, je ne me vois plus la défendre comme avant, en occultant l'argumentation de mon contradicteur.

Tout ça pour dire qu'on ne cesse d'apprendre, mais pour cela il me semble qu'il y ait plusieurs prérequis:

- Il faut s'intéresser aux choses elles-mêmes et non en faire des "prétextes" pour défendre je ne sais quelle théorie globale ou systématique qui serait la mesure de tout. Au contraire : l'étude spécifique des phénomènes doit pouvoir exercer une influence déterminante sur notre système de pensée - cette abstraction généraliste avec laquelle nous nous orientons dans le monde - qui, de ce fait, ne me semble possible que comme "système ouvert".

- La discussion devrait donc tourner autour de son "objet" dans le but avoué de parfaire sa connaissance : que cela en passe nécessairement par des "sujets", des expériences ou perspectives "subjectives", cela ne fait aucun doute et c'est cette contradiction - pour ne pas dire "dialectique" - qui fait évoluer le débat, lui confère tout son intérêt. - C'est ici que l'on conviendra peut-être que les théories, les interprétations, les hypothèses ne peuvent jamais que nous approcher un tant soit peu de ce qui est réellement le cas.

- Je ne vais pas ici m'appesantir sur le respect. S'il n'y en a pas, il suffit de se diriger vers la sortie puisque fort heureusement nous ne vivons pas (encore) dans un monde clos. Ce qui me fatigue, c'est à la fois cette bannière idéologique souvent agitée et la classification des débatteurs dans des cases qu'ils ont certes parfois eux-mêmes désignées : cela donne un univers où personne n'évolue jamais, le principe de non contradiction régnant en maître absolu pour pétrifier les êtres vivants que nous sommes.


Ajout. - Je me rends compte que, dans un nombre croissant de domaines, les discours se font de plus en plus pragmatiques : on cherche à produire un effet chez l'interlocuteur - le "destinataire" du "message" - qui doit voter pour tel parti, acheter telle marchandise, adhérer à telle organisation etc. etc. Tout, n'importe quel argumentaire est alors bon pour influer sur les conduites. Autant dire que la "vérité" n'y a plus qu'un statut rhétorique et ne devrait à terme plus intéresser personne avec ces appels incessants à l'émotion, au désir, au ressentiment, à la croyance : après le règne de l'objectivité radicale, voici venir le triomphe de la subjectivité absolue !

____________

Commentaires des blogueurs/gueses de l'Obs

Lu, approuvé et signé.

Écrit par : Pyroman | 31 août 2014

vous avez une manie, puis je vous le dire, vous vous repliez dans votre blog et développez des griefs (le mot est mal choisi) à l'encontre de on ne sait qui et faites leçon, c'est dommage, j'aime bien vos écrits, j'apprends, mais certains de mes profs bien aimés ne me donnaient pas l'impression d'être une gourde.......
si je cite Bourdieux ce n'est pas pour faire "genre" comme on dit vulgairement, je m'en suis expliquée ensuite, n'ayant pas de blog etant fusillée sans cesse par la modé, eh oui , je n'ai pas le style de la faculté,mais ensuite vous fuyez et on parle dans le vide, enfin chez Vlad je sais qu'il ne manquera pas de répondre point par point et souvent c'est en harmonie de ce que je pourrais développer plus avant et je reste prudente à ne aps trop torchonner son blog, je n'ai pas le niveau! figurez vous que peu me chaut
excusez moi, au bout d'un moment il faut se parler franchement

Écrit par : PARKER | 01 septembre 2014

Vous m'avez plutôt bien cerné, sauf peut-être pour le côté "donneur de leçons", mais si mes élucubrations présentes vous donnent cette impression, il doit y avoir un truc...

J'aime en effet discuter sérieusement des choses, et c'est ce que je dis ici en me repliant, comme vous le dites si bien, sur mon propre blog...

Vous avez également compris que j'ai écrit ces lignes à la suite de ce qui s'est dit chez Vlad :

Comme vous le savez, la sociologie est née avec Émile Durkheim et Max Weber, deux hommes qui n'avaient rien de "dangereux gauchistes" mais qui au contraire ont investi avec leur grande culture de nouveaux domaines d'études et de réflexion : j'ai un peu regardé la liste des éminents sociologues, certains peu connus en France comme Ferdinand Tönnies ou plus récemment Niklas Luhmann, et il y a tout de même du monde, que l'on ne devrait pas balayer du revers de la main en parlant de vaches laitières ou de légumes.

Bien sûr que vous n'avez pas cité Bourdieu pour "faire genre", à aucun moment je n'ai pu penser cela, la preuve : j'ai pris au sérieux votre remarque en "l'annotant", comme je l'ai dit...

Portez-vous bien PARKER !

PS. - J'en profite aussi pour saluer Mr. Pyroman & Mr. Hub

Écrit par : sk | 01 septembre 2014 |

j'approuve et contresigne également. Le tout étant surtout de ne pas oublier ces prérequis à l'avenir tant
notre tentation à délimiter les objets et à les enrober de subjectif est grande par confort de l'esprit..
Enfin, le respect devrait constituer le préalable implicite, le sésame sinon rien..mais le rappel est utile..

Écrit par : hubert41 | 01 septembre 2014

Bonjour SK

... D'autant plus que la sociologie ne saurait se réduire à du comptage aussi complexe soit-il. On ne peut imaginer démontrer un théorème en répétant à l'infini toutes sortes de comptages interminables. Je n'entends rien à ces questions, mais je crois savoir que comme dans toute science, le but est de révéler des déterminismes à l’œuvre pour tenter de s'en affranchir, des lois. Les lois régissant des groupes humains ne sont pas que directement corrélées à leurs simples sommes arithmétiques et il me semble qu'un des objectifs de la sociologie est de les mettre en évidence. Je vais d'ailleurs déposer ce commentaire chez Vlad.

Pour revenir à "notre" blogosphère et concernant les échanges, je vais prendre un exemple : j'apprécie, comme d'autres ici, l'intelligence et la culture de Vlad ainsi que certaines de ses compétences liées à son statut, je crois d'ancien officier. Dans le même moment j'apprécie aussi l'intelligence et l'humanisme manifestés par la blogueuse "Anna", tout comme d'autres. Ce sont là deux exemples pour le moins très opposés ! Mais j'ai précisément envie de prendre cette liberté de sortir du manichéisme par trop clivant et de ne pas rejeter ce que l'une et l'autre peuvent proposer en termes d'apports, tout comme vous l'avez fait dans l'exemple que vous avez rapporté.

J'ai particulièrement en aversion qu'on m'accule à choisir un camp, tout comme je suis à priori contre des excès entraînant des dommages irréversibles.

Cdlt
;-)

Écrit par : Pyroman | 01 septembre 2014

Accord parfait !

Écrit par : sk | 02 septembre 2014

Bonjour SK,

J'ai apprécié votre note. J'ajouterais, à propos du respect, celui de l'objet même qui est discuté. Et cela signifie qu'au minimum on se documente un brin sérieusement sur lui. Si l'on parle de Bourdieu par exemple, eh bien, cela supposerait que l'on prenne connaissance des grands lignes de son oeuvre, et que l'on fasse un minimum d'effort intellectuel pour les comprendre.
C'est un préalable avant tout débat d'idées. Sans quoi, on n'émet que des jugements de valeur ou des procès d'intention ("idéologique") ; et c'est lassant à la longue, je puis vous le confirmer !


Écrit par : plumeplume | 01 septembre 2014


je ne suis que la voix de l'échantillon cible qui ira grossir le gros du troupeau , convaincu "qu'on est le fils à son père", ton post est d'une violence incommensurable, et tu le sais, et c'est prémédité, que cherches tu à prouver?
excusez moi sk, je réagis au nom de ces enfants multicolores sur la fameuse photo qui n'auront peut être pas d'enseignants bienveillants pour les aider "à se taper tout Bourdieu" pour les éclairer

les mots sont des armes

Écrit par : PARKER | 01 septembre 2014


???

Parker, est-ce à moi que votre commentaire s'adresse ? Si tel est le cas, je ne le comprends pas, alors pas du tout.
Sauf si moi je me dis que vous vous êtes imaginé que je vous visais dans mon ajout au(x) préalable(s) au débat initié(s) par SK dans sa note. Ce n'est strictement pas le cas. Je n'ai pas une seconde songé à vous en partageant cette modeste réflexion à SK, et à lui adressée en priorité.

Il y aurait donc un autre préalable à suggérer pour qu'il y ait authentique débat : Que l'on cesse les projections agressives et que l'on se mette à interroger directement (en questions ouvertes) un tel ou une telle sur ce qu'il a écrit si ce qu'il écrit nous pose problème.

Je n'en prendrai pas ombrage, mais j'ai dû tout de même vous lire : "ton post est d'une violence incommensurable, et tu le sais, et c'est prémédité, que cherches tu à prouver ?"


Écrit par : plumeplume | 01 septembre 2014


Personnellement j'évite au possible le fameux "name dropping" dans les discussions (c'est un peu en contradiction avec ma remarque plus haut, mais j'assume)...

je ne sais pas à qui la réaction de Parker s'adresse réellement, mais je suppose qu'elle est inspirée par un vécu où une certaine arrogance - éternel complexe de supériorité - intellectuelle a joué un rôle..

je la comprends, mais c'est vrai qu'il faudrait éviter au possible la personnalisation, ça brouille le message et c'est très contre-productif...

je vous salue toutes les deux

Écrit par : sk | 02 septembre 2014

La subjectivité absolue (si elle est ressentie comme essence) sera toujours bien plus intéressante que toute radicalité objective, qui n'est jamais qu'un trompe-l'oeil à destination de gogos de la pensée


Écrit par : abou | 01 septembre 2014 |


merci de comprendre sk et veuillez m'excuser de cette....intrusion contraire à la nétiquette!


Écrit par : PARKER | 02 septembre 2014


Le point le plus difficile concernant ces prérequis est sans doute "s"en tenir au sujet proposé". Pour deux raisons au moins :
La première : comment essayer de penser sans faire -malgré soi souvent sinon toujours - des connections, des parallèles, des oppositions avec d'autres sujets.
La seconde : il suffit que l'un des commentateurs - même sans la moindre intention maligne - "dévie" quelque peu pour qu'on le suive surtout si la digression nous touche oui nous intéresse.

S'ajoute à cela le type de sujet proposé : l'affaire Willy Brandt par exemple peut être aujourd'hui traitée "à froid" et même l'expression d'une opinion personnelle peut être perçue comme une demande d'informations. Ce devrait être possible également pour des sujets d'actualité comme le conflit I/P. Mais dans la pratique, on assiste souvent à des renvois vers des liens informatique sans même s'interroger sur la source.

Reste quelque chose de précieux : la rencontre. Personnellement j'en ai fait quelques unes sur les blogs que je ne regrette pas. Et malgré ma lassitude des blogs, je me dit que cela en vaut la peine. Bien sûr, vient la tentation ou de se taire, ou de se retirer (une sorte d'home sweet home de la pensée mais qui est rarement sweet).

Écrit par : Benoît | 11 septembre 2014

dimanche 24 août 2014

De la nécessité d'une langue commune

En considérant le sentiment d'appartenance et la cohésion qui caractérisent les communautés musulmanes et juives dans le monde, chacune regroupant et fédérant des cultures, des peuples extrêmement divers, il faut se rendre à l'évidence que l'un des facteurs essentiels qui relie et unit ces populations hétérogènes est leur langue commune, respectivement l'arabe et l'hébreu. Et il ne s'agit pas de n'importe quelles langues, puisqu'elles sont les vecteurs de textes sacrés, considérés par les adeptes comme fondateurs. Ainsi, le rapport des locuteurs à ces langues touche lui aussi au sacré, leur origine commune émergeant du lien à une sphère dite divine ou, si l'on préfère, "métaphysique". Or, un certain archaïsme marque ces usages du LOGOS datant d'époques aujourd'hui révolues : le fait d'ignorer ainsi l'évolution qu'a parcouru l'humanité au cours des millénaires, qui a profondément modifié les langues et le rapport à l'écriture, confère tacitement un statut transcendantal à ces langues et textes anciens, dont on retrouve d'ailleurs le principe dans un autre livre sacré, le prologue de l'Évangile de Jean:  "Au commencement était le verbe (LOGOS)", une sentence sans doute inspirée par Héraclite (Fragment 50 : "Il est sage que ceux qui ont écouté, non moi, mais le LOGOS, conviennent que tout est un.").

Si l'on considère maintenant l'Europe contemporaine, force est de constater que toute cohésion, tout sentiment d'appartenance en sont absents : une monnaie commune, qui n'est même pas adoptée par tous les États membres, ne suffit certainement pas à constituer une quelconque "unité".

Or, ce problème d'une langue commune, ou plutôt de son absence, ne  préoccupe pas outre mesure les tenants actuels du pouvoir en Europe. L'anglais s'impose subrepticement, à la façon d'un Pidgin English, dont on s’accommode faute de langue commune décidée par et pour tous les Européens.

Pour ne pas m'attirer les foudres d'un intervenant, je ne défendrai pas ici le français, la langue traditionnelle de la diplomatie, écrite et parlée par les savants européens des 17e/18e Siècles et par les rédacteurs des droits humains, qui a pris la succession du latin, langue européenne par excellence.

Mais peu importe la langue choisie : c'est le problème d'une langue commune qui doit être résolu, non pas tant pour se reconnaître dans une tradition commune que pour s'exprimer et se comprendre à un niveau plus subtil, nuancé, complexe dans la perspective de construire un avenir commun qui ne soit pas purement économique.

L'euro fut mis en circulation le premier janvier 2002. Si on avait pensé à introduire en même temps une langue commune, apprise en cours intensif dès la maternelle par tous les petits Européens, ceux-ci seraient aujourd'hui proches de la majorité, et nous aurions surtout douze ans d'avance sur la résolution d'un problème qui, au fil du temps, va en s'aggravant : l'incommunication, faute d'expression relevée et de compréhension profonde.


samedi 23 août 2014

Apocalypso

Pour l'instant, c'est clair : ici le bon, là le méchant, ici le civilisé, là le barbare.

Mais imaginons un instant le scénario suivant : toutes les poudrières du monde explosent en même temps, comme si une force souterraine en avait assez de l'hégémonie humaine sur la planète ; plus personne ne saurait qui est qui, qui est bon et qui est méchant, la barbarie éclaterait partout, la civilisation ne serait plus qu'un lointain souvenir.

Tout soldat a besoin qu'on lui désigne un ennemi.

Mais imaginons un instant que l'ennemi est partout : ce ne serait plus alors une guerre traditionnelle avec une ligne de démarcation nette, mais un chaos où l'allié d'un jour serait l'ennemi du lendemain, et vice et perversa.

Il n'y a jamais eu autant de poudrières dans le monde qu'à l'époque présente. Inutile d'en faire l'inventaire. Certaines explosent, d'autres bouillonnent en sourdine, exploseront demain. Aucune véritable solution n'est en vue, aucun règlement des conflits prévu, aucune autorité assez puissante pour pacifier une humanité en proie à la folie meurtrière.

Et, comme si ce n'était pas suffisant, la guerre économique sévit de plus belle, affamant le plus grand nombre, engraissant quelques-uns, jetant les pauvres au bord du précipice dans les bras des diseurs de bonne aventure, qui les somment d'avancer.

Et, comme si ce n'était pas suffisant, il y a la destruction des ressources et des espaces naturels : profitons bien des images idylliques que nos explorateurs patentés injectent sur nos écrans virtuels car bientôt rien de tel n'existera plus.

Et, dans l'intervalle qui nous sépare encore de ce cauchemar prévisible, puisqu'il semble que nous n'ayons pas d'alternative, tapons-nous donc sur la panse et dansons l'apocalypso