jeudi 28 avril 2011

[Libye 2011] Vers une guerre civile sans fin ? (5)


~  note commencée le lundi 25, actualisée les mardi 26, mercredi 27 et jeudi 28 avril 2011 ~


Flux d'actualité [Al Jazeera] [Guardian] [libyafeb17] [Almanara Media]




TRIPOLI. - Peu après minuit, deux missiles au moins ont frappé deux immeubles situés dans le complexe du colonel K. de Bab al-Aziziya, comme le rapporte la correspondante du Guardian. L'un d'eux, un bâtiment à plusieurs étages qui abrite également une bibliothèque où le colonel, paraît-il, aimait à lire, s'est effondré. L'autre, destiné à recevoir les délégations étrangères, est sévèrement endommagé. La correspondante ajoute que le nombre des blessés légers varie de 0 à 45 et que l'on ignore le lieu où se trouvait le colonel K. - Le régime parle quant à lui de 45 blessés, dont 15 graves, et estime que l'attaque visait à tuer le leader. De son côté, Saif al-Islam Kadhafi déclare : "Le bombardement qui a visé les bureaux de Mouammar Kadhafi aujourd'hui... n'effrayera que les enfants. C'est impossible qu'il puisse nous faire peur ou nous pousser à abandonner et hisser le drapeau blanc. Vous, l'OTAN, menez une bataille perdue parce que vous êtes soutenus par des traitres et des espions. L'Histoire a prouvé qu'aucun État ne peut s'en remettre à eux pour vaincre." En fin d'après-midi, un porte-parole du régime déclare à Reuters que trois personnes ont été tuées par le raid de l'OTAN, mais que le colonel K. était "en sécurité" et "de bonne humeur". (sources via Guardian)



MISRATA. - Le retrait de l'armée libyenne annoncé par le gouvernement, qui avait déclaré que les tribus prendraient le relais, n'a été qu'un leurre. Ces dernières douze heures 30 morts et 60 blessés ont été comptés par Ahmed al-Qadi, qui travaille dans une radio "pirate" de Misrata. Il parle d'un pilonnage intensif de zones résidentielles et dit que des corps carbonisés ont été amenés à l'hôpital. Se trouvant actuellement en Libye, la correspondante du Sunday Times, Hala Jabar, a mis en ligne la photo insoutenable d'un de ces corps en précisant que "tout le monde doit la voir". Ayant pris le parti de ne pas montrer de telles images dans ces pages, je me contente d'en donner le lien [ici]. Voici encore quelques tweets de Hala Jabar, qui témoignent de l'horreur vécue par les habitants [@] : "Rapport de médecin : 'famille arrivée -- bébés carbonisés, mère, père. Ils étaient dans leur voiture'." - "Les gens endormis chez eux quand les FK [forces de Kadhafi] ont lancé des attaques au mortier sans discrimination. Les Chababs [jeunes combattants] incapables d'emmener les morts qui brûlent encore." - "La tête d'un bébé amenée sans son torse. Une famille carbonisée, brûlée à tel point qu'elle a dû être placée dans le même sac." (sources via Guardian)



SYRIE. - Alors que les nouvelles du pays sont toujours aussi ténues et difficiles à vérifier puisque les reporters étrangers ne sont pas autorisés à y travailler, on apprend que les frontières avec la Jordanie sont à présent fermées et que les téléphones sont coupés à Deraa depuis minuit. Des rapports émanant de cette ville du Sud, et de Douma en banlieue de Damas, parlent d'une vague d'arrestations et de coups de force du régime, qui utilise des tanks à Deraa, où entre 9 et 18 morts sont signalés, et des snipers à Douma pour terroriser la population. Dans cette dernière ville, un commandant de l'armée aurait pris le parti des habitants qu'il entendait protéger des snipers, une initiative qui se serait soldée par son arrestation. D'autres défections dans les rangs des militaires ont été rapportés, mais une observatrice du Guardian à Damas, Katherine Marsh, estime que l'armée restera fidèle au président al-Assad puisque ses membres sont recrutés de préférence dans sa "secte des Alaouites", une branche du chiisme. - On dénombre également treize morts à Jableh près de Banias depuis hier. (sources via Guardian) - Dans l'après-midi, le Nouvel Observateur relaye une dépêche de l'AFP rapportant les propos d'un militant des droits humains au téléphone [sans doute avec une carte SIM jordanienne], qui parle de la situation catastrophique à Deraa [ici] : "au moins 25 martyrs sont tombés, tués par les tirs et le pilonnage à l'artillerie lourde", après l'entrée avant l'aube de l'armée et des forces de sécurité dans la ville, appuyées par des chars et des blindés. - Il a ajouté que des corps étaient "toujours dans la rue". - Le militant a précisé que la ville était soumise dans l'après-midi "à un pilonnage intensif à l'artillerie lourde et aux mitrailleuses... - Des snipers ont pris position sur les toits et les chars sont dans le centre-ville", a-t-il ajouté. - D'autres sources de l'AFP parlent de 3000 hommes des forces de sécurité qui ont déferlé sur la ville. - L'hebdomadaire français rapporte également une réaction de l'ONU : La Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, Navi Pillay, a demandé lundi "l'arrêt immédiat des tueries en Syrie", jugeant "inacceptable" la "réaction erratique et violente" du gouvernement syrien face à "des manifestants pacifiques".



Les événements syriens prennent à présent un tour aussi brutal et sanglant qu'en Libye. Après quelques annonces apparemment rhétoriques, comme la levée de l'état d'urgence et des lois d'exception en vigueur depuis 1963, le régime montre son visage barbare à ceux qui pouvaient encore douter de sa vraie nature en envoyant son armée, ses "forces de sécurité" et sa police "secrète" assassiner la population et arrêter les opposants, dont on peut imaginer le sort dans les geôles d'un État totalitaire. - Et dans cette histoire, il ne faudra pas s'attendre à une résolution de l'ONU autorisant une intervention pour arrêter le massacre. Avec le droit de véto de la Chine et de la Russie, on se demande d'ailleurs comment la résolution 1973 sur la Libye a pu passer au Conseil de sécurité. Hormis la réticence de ces deux grandes puissances à toute "politique d'ingérence", d'autres raisons peuvent être invoquées : Bien sûr, dira-t-on avec une pointe de cynisme, les réserves pétrolières de Syrie constituent une "quantité négligeable" sur le marché mondial. Il y a aussi la proximité de l'Iran et d'Israël qui font d'une intervention militaire conduite par l'Occident une opération à haut risque. Et on entend évidemment préserver cette fameuse "stabilité" de la région qui recèle les plus importants gisements de pétrole au monde, même si la Syrie n'en détient qu'une part très modeste. Enfin, on peut penser aux opérations en cours qui ne sont pas, loin s'en faut, couronnés de succès : En Afghanistan et en Irak, on "gère le chaos" comme on peut, et en Libye, on se dirige également vers une situation bloquée, si l'on n'y est pas déjà. Il faut ajouter que les opérations militaires engloutissent des sommes énormes, alors que les dettes de la plupart des pays "développés" se comptent  désormais en billions (mille milliards) d'euros.



TUNISIE. - A l'heure où la France, par la bouche du conseiller spécial du président Sarkozy, Henri Guaino, plaide pour une modification de "l'espace Schengen" pour maîtriser le flux migratoire en provenance de Tunisie, ce pays affronte l'affluence des réfugiés en provenance des montagnes de l'Ouest, pilonnée sans relâche par l'armée libyenne. Libyafeb17 relaye ce soir une dépêche de Reuters qui estime à 30.000 le nombre de Libyens qui fuient le massacre orchestré par leur propre gouvernement. Ils viennent s'ajouter à la première vague de réfugiés qui n'ont pas encore été évacués ou qui ne savent pas où aller. Si l'on considère que le gouvernement tunisien n'a pour l'heure formulé aucune plainte et semble considérer comme normal d'aider les gens en détresse, l'attitude du gouvernement français, si prompt à déclarer la guerre pour "protéger les civils", est à proprement parler lamentable. Car s'y reflète cette ambiguïté occidentale qui, jadis, fit dire aux premiers habitants d'Amérique, dépités par les promesses non tenues, que "les visages pâles ont la langue fourchue".



YEMEN. - Alors que l'on annonce de nouveaux morts et blessés dans les manifestations à Taïz, Ibb et dans la région d'al-Baïda, la transition du pouvoir semble en bonne voie ce soir puisque l'opposition  emboîte le pas au président Saleh en donnant lui aussi son "accord au plan de sortie de crise proposé par le Conseil de coopération du Golfe (CCG)", comme l'écrit Le Monde [ici] qui rappelle que ce plan "prévoit un transfert du pouvoir en trois mois. Les six États membres du CCG, alliance régionale militaire et politique, demandent au président Saleh de remettre les rênes du pays à son vice-président dans le délai d'un mois après la signature d'un accord. Un responsable de l'opposition devrait prendre la tête d'un gouvernement intérimaire chargé de préparer l'élection présidentielle deux mois plus tard. - Le projet accorde l'immunité à M. Saleh, à sa famille et à ses conseillers, qui ne pourraient pas faire l'objet de poursuites judiciaires comme le réclament leurs adversaires."

dimanche 24 avril 2011

[Libye 2011] Vers une guerre civile sans fin ? (4)


note commencée le jeudi 21, actualisée les vendredi 22, samedi 23 et dimanche 24 avril 2011 ~

Flux d'actualité [Al Jazeera] [Guardian] [libyafeb17] [Almanara Media]

Chris Hondros : Insurgé à Ajdabiya (photo : getty via guardian)

FRONTIÈRE TUNISIENNE. - Alors qu'un grand nombre de personnes continuent de fuir les zones de combat dans les montagnes de l'Ouest pour la Tunisie, Al Jazeera rapporte que les insurgés ont pris le contrôle du poste frontière de Wazin, à 200 km au Sud du passage principal de Ras Jedir près de la côte. - Un peu plus tard, le Guardian reprend un communiqué de l'agence TAP (via Reuters) qui annonce que treize soldats et officiers, dont un général, des forces loyalistes se sont rendus à l'armée tunisienne après des affrontements avec les combattants insurgés. Un correspondant d'Al Jazeera Arabic avait auparavant parlé d'une centaine d'éléments kadhafistes à s'être constitués prisonniers de l'autre côté de la frontière. - Puis l'AFP rapporte (via libyafeb17) que quelque 150 à 200 soldats de Kadhafi ont abandonné leurs armes et se sont enfuis en Tunisie.

ENLISEMENT. - De plus en plus d'observateurs considèrent que la guerre ne peut être gagnée par l'insurrection. Cantonnés à Ajdabiya face aux kadhafistes enterrés à Brega, les insurgés ont  peu de chances de faire bouger le front de l'Est de façon significative. S'ils paraissent mieux organisés qu'au début des combats, ils ne disposent pas de l'armement adéquat qui leur permettrait d'avancer sur Syrte ou Misrata. Et si la couverture aérienne de l'OTAN peut empêcher la progression des loyalistes vers Benghazi, elle n'est pas à même de les déloger des villes. - La seule option qui pourrait débloquer la situation militaire est une intervention terrestre de la Coalition. Or, les dirigeants occidentaux ne cessent de répéter qu'elle est exclue, si l'on excepte les quelques éléments des forces spéciales qui opèrent sur le terrain, les trois dizaines de conseillers militaires envoyés à Benghazi et peut-être telle ou telle unité armée appelée à protéger les convois humanitaires à Misrata, qui ne serait cependant pas autorisée à engager les combats.

APRÈS LE DRAPEAU, LE ROI ? - Exilé depuis 1988 à Londres, Mohammed al-Sanussi [ou El Senoussi], le prétendant au trône de Libye âgé de 48 ans, se déclare prêt à aider son pays. Le blog bruxellois du Wall Street Journal cite ses propos [ici] : "Que le peuple veuille la monarchie constitutionnelle ou la république, je ferai de mon mieux".  Le rédacteur, John W. Miller, résume le sens de cette déclaration : "En d'autres termes, si on lui demandait d'être roi, il dirait oui". Le fait que l'insurrection ait choisi comme emblème l'ancien drapeau de la monarchie lui donne peut-être des idées ? - M. al-Sanussi ajoute toutefois qu'il aiderait l'opposition à organiser “des élections libres et équitables", sa "tâche étant de servir le peuple".

 Idris Ier, roi de Libye (1951-1969), et son petit-neveu Mohammed, prétendant au trône

CHRIS HONDOS. - Dans cette vidéo, le photographe de guerre, qui a succombé hier à ses blessures dans la ville de Misrata, commente son travail et explique les raisons qui l'ont conduit à persévérer dans sa voie  :


samedi 23 avril 2011

Schengen

Face à l'affluence de migrants venus de Tunisie et de Libye, munis par les autorités italiennes d'un titre de séjour provisoire de six mois, le gouvernement étudierait la suspension de l'accord de Schengen, comme on l'a appris vendredi à l'Élysée. Même si l'annonce est loin d'être officielle, les commentaires vont déjà bon train. Le FN crie à la "supercherie" par la voix de son secrétaire général Steeve Briois [ici] : "Face à ce tsunami migratoire, l'Élysée envisage de suspendre les accords de Schengen de façon à lutter contre le phénomène, reprenant ainsi une proposition de longue date de Marine le Pen. Le Front national dénonce la supercherie et l’enfumage médiatique de Nicolas Sarkozy. Après avoir fait des pieds et des mains pendant des années pour vendre l’Union Européenne aux Français, voilà que l’UMP feint de vouloir faire marche arrière. - Ces nouvelles gesticulations médiatiques servent à masquer la duplicité du gouvernement sur la question de l’immigration au moment où le nombre de titres de séjours accordés aux étrangers explose." - Quant aux Jeunes Socialistes (PS), ils déclarent [ici] : "La rumeur répandue, par une source élyséenne, selon laquelle la France envisagerait de suspendre les accords de Schengen, est une nouvelle escalade dans la culture de la peur et d’un alignement systématique de l'Élysée sur les prises de positions de Marine Le Pen. - Par cette proposition, le Président de la République voudrait nous faire croire que des hordes d’arabes seraient en train d’envahir le continent européen et le territoire national. Il use une fois de plus de son bouc émissaire favori : l’immigré. Cette situation justifierait de sortir des accords de Schengen et de suspendre de façon unilatérale une liberté fondamentale pour tous les individus : la liberté d’aller et venir. - Une telle mesure est profondément injustifiée car elle ne correspond absolument pas à la réalité. L’arrivée d’immigrés tunisiens et libyens reste faible eu égard à l’importance des évènements dans ces deux pays, et au fait que la France conduit une guerre dans l’un d’eux. -Nicolas Sarkozy aurait été plus avisé de ne pas faire le choix de soutenir et armer des dictateurs ces dernières années. L’intervention militaire n’aurait pas été nécessaire. Les déplacements de populations auraient été encore plus faibles. - Pis encore, avec une telle proposition le Président de la République met en péril la liberté de circulation des citoyens français et européens car on imagine avec effroi les mesures de rétorsions que pourraient prendre les pays de l’espace Schengen à l’égard de la France."

On se le demande : S'agit-il dans cette annonce, qui n'est pour l'instant qu'une "rumeur", d'une autre "poudre aux yeux" concoctée par les éminences grises de M. Sarkozy ? Peut-on la rapprocher de cette autre "mesure", déjà critiquée par les syndicats et jugée "électoraliste", de concéder une "prime" aux salariés des entreprises qui versent des dividendes à leurs actionnaires ? - Mais surtout : Qu'en est-il de la "solidarité" avec les peuples du "Printemps arabe", ardemment soutenu par l'Élysée depuis le départ de Mme Alliot-Marie du Quai d'Orsay ? - La Tunisie, elle-même en proie aux difficultés économiques, ne témoigne-t-elle pas d'un grand élan humanitaire envers les dizaines, voire les centaines de milliers de réfugiés libyens qui affluent sur son territoire ? Le soutien français se limite-t-il donc aux bombardements et à l'envoi de conseillers militaires en Libye ?

Derrière le combat héroïque des peuples arabes pour la liberté et la démocratie se cache un profond malaise économique et social. Muselés, ces peuples sont maintenus dans un état de pauvreté sans pouvoir accéder à un confort relatif et à une situation matérielle stable. En effet, il est difficile de comprendre pourquoi des dizaines de milliers de Tunisiens risquent leur vie en mer pour fuir un pays qu'ils pourraient aider à construire après des décennies d'autocratie. Certains craignent sans doute des représailles pour avoir été impliqués dans le système Ben Ali. Beaucoup d'autres estiment, peut-être à tort, que leur situation économique reste aussi catastrophique qu'avant.

Il relève de l'humanité la plus élémentaire de ne pas laisser ces gens errer sur le bord des routes européennes, mais de les accueillir, de leur parler, de monter des structures de réflexion qui leur permettraient d'envisager le futur de la Tunisie, de l'Égypte, de la Libye et leur propre concours au nouvel élan de leurs patries. Aucun migrant ne quitte son pays, sa famille, ses amis de gaîté de cœur, ne risque sa vie joyeusement pour se retrouver parqué sur le sol aride de Lampedusa. En considérant les belles déclarations des uns et des autres, il serait temps de passer à l'action et de délivrer ces réfugiés de leur condition dramatique.

Ce sont les questions de solidarité qui divisent l'Europe. D'abord l'assistance économique à la Grèce, l'Islande et le Portugal. Maintenant l'accueil des réfugiés du "Printemps arabe". Tant que l'Europe politique ne sera pas faite, tant que l'espace économique de l'UE ne sera pas "harmonisé", avec les mêmes salaires minimaux, les mêmes avantages sociaux, les mêmes taxes, nous assisterons à ce genre de scénarios proprement inhumains dans le beuglement xénophobe des Vrais Finlandais, du Front National ou d'une "Vederö" ("force défensive") hongroise qui vient de chasser la population rom d'un village où celle-ci était pourtant sédentarisée (aux dernières nouvelles, le gouvernement a cependant pu rétablir un "ordre" qui commençait à lui échapper).

jeudi 21 avril 2011

[Sondage] Commémoration

Le nouveau - et nième - sondage sur le thème favori des observateurs politiques, la "montée du FN", enfonce un clou passablement rouillé : Le Pen au second tour de la présidentielle quels que soient ses adversaires, comme titre Le Parisien (20 avril 2010) [ici]. Le quotidien précise qu'il s'agit d'une enquête réalisée en ligne les 19 et 20 avril 2011, selon la méthode des quotas, sur un échantillon de 926 personnes inscrites sur les listes électorales issues d’un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, à partir de l’access panel Harris Interactive. - Voilà pour les spécialistes. Les adversaires de la dame en "bleu marine" sont, pour les principaux, aussi virtuels que, par voie de conséquence, les avis de ces 926 personnes interrogées "en ligne". Le Parisien écrit : Seul DSK (30% des intentions de vote) arrive devant la présidente du parti d'extrême-droite (21%), Nicolas Sarkozy n'obtenant que 19% des suffrages.... Selon notre enquête, face à François Hollande (22%), Marine Le Pen est au coude à coude (23%), l'actuel locataire de l'Elysée 3e (19%). Elle décroche 23% des intentions de vote dans l'hypothèse d'une candidature Aubry (21%), Sarkozy 20%. - A signaler également : Jean-Louis Borloo, président du Parti radical, entre 7 et 10 % selon les hypothèses de candidature, réussit sa percée.

Très bien. Sauf que ni MM. Borloo, Strauss-Kahn et Sarkozy ni Mme Aubry n'ont encore annoncé leur candidature. La virtualité, souvent pointée dans ces pages, est donc totale : on "interroge" 926 personnes dont on estime qu'elles peuvent représenter 43.350.204 électeurs (inscrits en 2010) dans des conditions qui n'ont rien à voir avec celles d'un suffrage réel, à un an de l'échéance, sur des candidats qui, pour les plus importants, ne se sont pas encore déclarés.

Aujourd'hui, la presse se doit de commémorer la débâcle de 2002 et, fort de son sondage "exclusif", Le Parisien titre en conséquence : Vers un nouveau 21 avril ? [ici] - La conclusion de ce bref article résume les intentions du journal : Seule consolation pour la droite comme pour la gauche : la menace du FN étant cette fois identifiée, les appels au rassemblement auront plus de chance d’être entendus.

Or, ces sondages, et les commentaires qui invariablement s'y greffent, ont un effet d'amplification sur l'opinion, alors qu'ils se parent - avec une bonne dose d'hypocrisie - de neutralité et d'objectivité. L'effet d'amplification consiste à affirmer et consolider le vote FN en réinjectant les résultats précédents dans les sondages futurs et les opinions qui s'y expriment. Celles-ci se trouvent en effet confortées par la "montée du FN" annoncée un peu partout et s'enfoncent dans la brèche ouverte par "l'opinion publique" en bonne partie basée sur... des sondages !

Que l'on y compare le manque d'intérêt pour les élections "réelles" qui viennent de se tenir, où l'on constate en effet une progression du Front National, mais également une abstention record : sur 21.295.938 inscrits à ces Cantonales partielles, seuls 9.439.097 électeurs sont allés voter ! Il n'y a eu que peu de "débats" autour de cette élection "très, très locale", selon la formule un peu dédaigneuse du Premier ministre. Les résultats et les taux d'abstention n'ont guère été analysés, comme si l'on préférait discuter de candidatures "potentielles" sur la base des opinions d'un millier de personnes triées sur le volet et appâtées par une loterie qui leur permet, tout aussi virtuellement, de gagner un petit quelque chose ...

Alors que des gens se font massacrer de l'autre côté de la Méditerranée pour accéder, à côté de l'amélioration de leur condition sociale, à la liberté d'expression et la démocratie, notre pratique de la "chose publique" n'a plus rien d'un modèle du genre.

BONUS. - Voici la vidéo choisie par J.M. Bouguereau pour illustrer son billet "commémoratif" [ici].

mercredi 20 avril 2011

[Libye 2011] Vers une guerre civile sans fin ? (3)


~ note commencée le dimanche 17, actualisée les lundi 18, mardi 19 et mercredi 20 avril 2011 ~

Flux d'actualité [Al Jazeera] [libyafeb17] [Almanara Media]

BILAN. - Voilà deux mois que la Révolution du 17 Février a commencé en Libye et pratiquement un mois que la Coalition internationale y mène des opérations aériennes. Dans un premier temps, les bombardements alliés ont empêché la prise imminente de Benghazi et permis aux troupes insurgées d'avancer sur Syrte. Puis l'armée du colonel K., supérieure à tous les niveaux (armement, stratégie, entraînement des soldats ...), a mené une contre-offensive, repoussant les rebelles encore une fois jusqu'à Ajdabiya. Pendant ce temps, les pilonnages kadhafistes sur Misrata et dans les montagnes de l'Ouest se poursuivent sans que l'aviation de l'OTAN puisse y mettre fin. - Depuis quelque temps, on parle d' "enlisement" ("stalemate") pour décrire la situation militaire. Et toutes les tentatives pour amener les deux parties autour d'une table de négociation et parvenir à un cessez-le-feu ont échoué. Bien que l'expression soit encore évitée au possible, la Libye est bien en proie à une "guerre civile". Si tant est que l'unité du pays est intangible aux yeux des deux camps, la réconciliation après un tel épisode brutal et sanglant paraît très difficile. Reste alors la sécession de la Cyrénaique déjà évoquée à plusieurs reprises dans ces pages, mais qui semble hors de propos dans toutes les discussions menées sur l'avenir de la Libye. En effet, elle constituerait un demi-échec pour les trois parties engagées dans le conflit : l'Occident et les quelques pays arabes qui soutiennent les opérations militaires se verraient à nouveau contraints de "faire avec" le colonel K. sur la scène internationale et n'auraient pas réussi à faire plier le régime malgré leur impressionnante supériorité militaire et tout l'éventail des sanctions à son encontre ; les Libyens de l'Est seraient coupés de leurs familles et des ressources à l'Ouest, mais devraient également abandonner les populations de Misrata et de Zintan à leur sort ; et le colonel K. n'incarnerait plus l'unité du pays, mais se sera révélé comme un massacreur sans scrupules, mis définitivement au ban de la communauté internationale après tous ses efforts pour s'y faire accepter à nouveau. - Voici un rapide point sur la situation fait par BFM ce dimanche :


AJDABIYA. - Reuters écrit cet après-midi [ici] : Un témoin a indiqué avoir vu une dizaine de roquettes lancées sur l'entrée ouest d'Ajdabiah... - "Il reste encore quelques hommes (rebelles) près de l'entrée ouest mais la situation n'est pas bonne", a déclaré un des rebelles, Ouassim el Agouri, âgé de 25 ans, près de la porte est. - Samedi, des rebelles étaient parvenus à atteindre les faubourgs de Brega mais, après la mort de six rebelles touchés par des roquettes, ils ont dû battre en retraite et se réfugier à Ajdabiah. - La ligne de front orientale est difficile à déterminer avec précision en raison de la nature des combats, en forme de harcèlement, de pilonnages venus de loin et de la tendance grandissante des pro-Kadhafi à préparer des embuscades contre les rebelles le long de la route côtière.

SAIF AL-ISLAM KADHAFI. - Une nouvelle interview du fils du colonel K. a paru ce dimanche dans le Washington Post [ici]. Il continue de qualifier les rebelles de terroristes (Al-Qaida) et de criminels. Il estime que le seul "problème", c'est Benghazi qui sera "libérée par son propre peuple". Il pense que la démocratie n'est plus la "priorité" des gens qui veulent "la paix, la sécurité, à manger, à boire... des écoles". D'ailleurs quand il parlait "de constitution, de liberté, de démocratie" au cours de "ces dix dernières années", on lui "riait au nez" en disant : "nous voulons de belles maisons, nous voulons du bon argent, nous voulons de bons hôpitaux, nous voulons de bonnes voitures, nous voulons de bons hôtels". - Et si son père quittait le pays ? Réponse : "Somalie, deuxième acte. Tout le monde le sait". - L'entretien se conclut sur ces paroles : "Le cas de la Libye est très simple, il n'y a aucune difficulté, cela peut se résoudre très facilement. Mais si vous arrivez en disant que Kadhafi doit partir, vous compliquez la chose pour tout le monde. Alors ou bien vous voulez aider la Libye ou bien vous voulez détruire Kadhafi, vous devez choisir. Si vous voulez détruire Kadhafi, d'accord... mais ne dites pas 'je veux aider la Libye'. S'il vous plaît, ne le dites pas ... - Actuellement, la personne la plus importante en Libye, c'est le Premier ministre. Demandez à n'importe quel Libyen, [c'est] le Premier ministre. Mon père ne discute pas de contrats, de lois, d'entreprises, d'affaires... c'est le travail de l'exécutif, c'est le travail du Premier ministre. Il est la personne la plus importante en Libye, et la nouvelle Constitution prévoit un Premier ministre élu, ainsi qu'un Président élu. Mon père est comme un symbole du pays, il est symbolique... Mais ils en ont après Kadhafi, alors nous allons tous nous battre pour lui, c'est une mauvaise approche."

mardi 19 avril 2011

[Brève] Les Vrais Finlandais

La "montée du Front National", rabâchée par les sondages et réalisée aux Cantonales, n'est décidément pas un phénomène franco-français. Après feu Jörg Haider en Autriche et la petite-fille du père de tous les fascistes européens, Alessandra Mussolini en Italie, les Vrais Finlandais et leur leader Timo Soini deviennent, avec 19% des voix aux élections législatives de ce dimanche 17 avril, le troisième parti de Finlande, après les conservateurs (20,4%) et les sociaux-démocrates, qui ont sauvé la deuxième place in extremis avec 19,1%. Les centristes, premier parti en 2007 avec plus de 23%, doivent se contenter de 15,8% et de la quatrième position pour se retrouver sans doute pour la première fois dans l'opposition face à la coalition des trois autres formations. Ce qui inquiète l'Europe, c'est que les Vrais Finlandais sont contre le plan de sauvetage financier du Portugal, qui doit être approuvé à l'unanimité par les 27. Un véto finlandais condamnerait le plan d'assistance.

 Timo Soini (photo : DR via mediapart)

ACTUALISATION. - Selon une dépêche de Reuters parue ce 19 avril [ici] : Le ministre finlandais des Finances Jyrki Katainen, pressenti pour former le prochain gouvernement, a exclu mardi de faire modifier en profondeur les termes de l'aide européenne au Portugal. ... Dans ce qui pourrait être un signal adressé au parti des Vrais Finlandais, xénophobe et eurosceptique, qui est passé de 4% des voix en 2007 à 19% dimanche, devenant le troisième parti au parlement, Jyrki Katainen a déclaré que tous les partis qui participeraient à la prochaine coalition devraient soutenir le programme gouvernemental.

dimanche 17 avril 2011

À un an des Présidentielles

À un an des présidentielles, les électeurs français sont dans l'incertitude. Rien n'est fait nulle part. On ne sait pas si le président Sarkozy est candidat à sa propre succession alors que son collègue américain est déjà en campagne pour 2012. On ignore également quel sera son challenger dans l'opposition, dont le champion DSK continue de se cacher derrière son devoir de réserve. Au centre, c'est le flou total entre les anciens de la majorité qui viennent de quitter le navire et François Bayrou qui ne cesse de prendre l'eau depuis son succès en 2007. Les écologistes ont fort à faire avec la candidature très médiatique de Nicolas Hulot dont on ne connaît pas vraiment l'orientation politique. Quant à la tentative de rassemblement de l'extrême-gauche par Jean-Luc Mélenchon, on peut dire sans s'avancer beaucoup qu'elle a échoué. Seule exception, l'extrême-droite remaquillée par Marine Le Pen, qui fait un tabac dans les sondages et vient de faire un score impressionnant dans un certain nombre de cantons. 

Bien sûr que N. Sarkozy se représentera, diront les observateurs politiques. Évidemment que D. Strauss-Kahn va y aller, ajouteront certains. Et ils vont déjà imaginer le "match", pronostiquer les "scores", redouter un "21 avril à l'envers" devant la baisse de la cote de popularité du "président sortant" et la "montée du FN". Marine Le Pen va prendre des voix à Nicolas Sarkozy, dira-t-on, car "les Français préfèrent l'original à la copie".

Et à gauche ? Le vainqueur des "primaires" socialistes sera coincé entre une extrême-gauche divisée qui fera feu de tout bois et une vedette de télévision, dont la popularité imméritée sur le plan politique attirera la partie de l'électorat qui voudrait installer le palais de l'Élysée à Ushuaïa.

samedi 16 avril 2011

[Libye 2011] Vers une guerre civile sans fin ? (2)


~ note commencée le mercredi 13, actualisée les jeudi 14, vendredi 15 et samedi 16 avril 2011 ~

Flux d'actualité [Guardian] [Al Jazeera] [libyafeb17] [Almanara Media]

DIPLOMATIE. - Rencontre des ministres des Affaires étrangères du "groupe de contact" sur la Libye ce mercredi à Doha en présence de représentants du Conseil libyen de Transition (CNT). - Mousssa Koussa, l'ancien diplomate et espion en chef de Libye réfugié à Londres, qui a été autorisé à se rendre lui aussi au Qatar - "c'est un homme libre", a déclaré William Hague - ne participera pas directement à la réunion, mais mènera, semble-t-il, des discussions "en coulisses". - L'intérêt de la rencontre n'est pas très clair puisque le CNT refuse toute négociation avec le régime libyen tant que le clan Kadhafi reste au pouvoir. Et celui-ci n'a apparemment aucune intention de le quitter. De même, un cessez-le-feu n'est acceptable pour le CNT que si le régime retire ses troupes des villes occupées, et notamment de Misrata, ce que Tripoli a déjà refusé de faire.

MISRATA. - De nouvelles images en provenance de la ville martyre, tournées par une équipe de la chaîne britannique ITV, qui a rejoint Misrata par la mer [ici]. Au début du sujet, une carte montre le partage de la ville en deux zones. Une plan détaillé avec des légendes en anglais a été mis en ligne par libyafeb17 [ici]. Le reportage diffusé le 11 avril se conclut par un bombardement d'une aire de jeux, où l'un de enfants touchés ne survivra pas à ses blessures : ces images sont difficiles à supporter ...


INFORMATIONS. -  Aucune d'elles n'est neutre : Le mouvement de jeunesse libyen (libyafeb17), AlManara et beaucoup de comptes Twitter militent pour la cause révolutionnaire, le Conseil de Benghazi "enjolive" souvent les informations au profit des combattants comme les médias de Tripoli les "déforment" en faveur du régime. Al Jazeera est basée au Qatar, qui joue un rôle important dans le soutien économique, logistique et militaire de l'insurrection, et la plupart des médias occidentaux ont clairement pris parti pour l'intervention de la Coalition internationale. - Nous retrouvons donc cette constellation binaire, qui a pu frapper les esprits lors de l'attaque de l'Irak en 2003 : C'est un conflit entre les "axes" du bien et du mal. - Mais cette "vision du monde" ne prend pas en compte les zones d'ombre, cette fameuse "nuit où tous les chats sont gris". Elle ne prend pas en considération la "dialectique" entre le bien et le mal qui traverse et hante les individus. Car chaque homme, pour autant qu'il est "humain", a des arrière-pensées qui touchent parfois aux "instincts" les plus "vils", dissimulés sous un masque de bonté où le sourire s'est figé. - A l'image de cet homme balloté entre ses instincts et son intelligence, les informations parlent le double langage du désir et de la raison : Moi, "l'informateur", je livre l'analyse rationnelle d'une situation dont par ailleurs, entre les lignes, je désire la "fin heureuse" que "tout le monde" espère. Plus encore qu'en Libye, cette attitude s'est illustrée en Côte d'Ivoire, où des fraudes électorales et des massacres ont été commis des deux côtés, et où une plus grande "objectivité", que les journalistes aiment à revendiquer, eût été souhaitable ...

GROUPE DE CONTACT. - Voici le communiqué final, résumé en fin d'après-midi par Al Jazeera. Les participants ont convenu des points suivants :

- Une solution politique est le seul moyen de garantir une paix durable en Libye ; le groupe réaffirme son engagement fort pour la souveraineté, l'indépendance, l'intégrité territoriale et l'unité nationale de la Libye.
- La présence prolongée de Kadhafi serait un obstacle à toute résolution de la crise.
- Il est nécessaire de surveiller toute menace potentielle émanant d' "éléments extrémistes" qui pourraient chercher à profiter de la situation en Libye.
- Il est à noter que le régime de Kadhafi s'affaiblit à mesure que ses membres le quittent.
- Il faut soutenir les efforts de l'ONU pour aider le peuple libyen à développer un programme de transition politique, un processus constitutionnel et électoral.
- Il s'agit de continuer à fournir de l'assistance à l'opposition, y compris des aides matérielles et humanitaires.
- Un  mécanisme financier [fonds] temporaire pourra permettre à la communauté internationale de subvenir aux besoins financiers et structurels à court terme en Libye.
- 3,6 millions de personnes pourraient avoir besoin d'assistance humanitaire.

MOUSTAFA ABDEL JALIL. - Le président du Conseil national de transition (CNT) a publié une courte tribune dans Le Monde, datée du 12 avril et intitulée La liberté a besoin de temps [ici]. En voici un extrait significatif : ... Nous ne demandons pas que l'on fasse la guerre en notre lieu et place. Nous ne demandons pas à des soldats étrangers de venir contenir l'ennemi. Nous n'attendons pas que les amis de la Libye libèrent notre pays pour nous. Nous demandons que l'on nous accorde le temps et les moyens de constituer une force qui tiendra en respect les mercenaires et les prétoriens du dictateur puis libérera nos villes. - La communauté internationale, sauf à se déjuger, doit continuer à nous venir en aide, pas seulement grâce aux avions mais aussi sous forme d'équipements et d'armements. Qu'on nous octroie les moyens de nous libérer, et nous étonnerons le monde : Kadhafi n'est fort que de notre jeunesse et de notre faiblesse de départ ; c'est un tigre de papier ; attendez, et vous verrez. ...

CHAMPS DE BATAILLE. - Ce soir, le quotidien français fait le point sur la situation militaire [ici] : Si les forces rebelles ont repris la ville d'Ajdabiya, ... les unités pro-Kadhafi y maintiennent leur pression par des tirs d'artillerie sporadiques. - Les deux camps se disputent toujours la route qui relie Ajdabiya au port pétrolier de Brega, qui est encore occupé en grande partie par les troupes de Kadhafi. - Deux grosses explosions ont retenti mercredi à Tripoli. Des habitants ont affirmé avoir entendu des avions survolant la capitale avant les explosions. ... - A Misrata, ... la situation est toujours critique pour les 300.000 habitants, assiégés et bombardés depuis sept semaines. L'UE envisageait l'ouverture d'un couloir humanitaire maritime sous protection militaire pour aider la population, mais les ministres européens des Affaires étrangères ne sont pas parvenus à s'entendre mardi sur les grandes lignes d'une telle opération. - D'intenses bombardements ont visé lundi les abords de la ville de Nalout, dans l'ouest, provoquant un exode important de populations vers le poste-frontière tunisien de Dehiba. - Zintan, .... toujours assiégée, continue de résister.

jeudi 14 avril 2011

[Cantonales] La progression du Front National

Signalé par Le Canard Enchaîné de ce mercredi, un article de L'Humanité daté du 6 avril [ici] et signé Jérôme Fourquet (directeur adjoint du Département Opinion et Stratégie d'Entreprise de l'Ifop) analyse la progression du FN au second tour des Cantonales. L'importance de l'étude tient à ce qu'elle se fonde sur les résultats d'une élection réelle et non sur des déclarations d' "intentions de vote", fortement sujettes à caution. L'analyse se base sur les résultats des 394 cantons où le parti d'extrême-droite a pu se maintenir au second tour. - L'auteur commence ainsi :

En dépit des commentaires sur « l'échec du FN », analyse fondée sur le très faible nombre de cantons gagnés, on constate une progression importante de plus de 10 points, quelle que soit la configuration de second tour (voir tableau ci-dessous).


La conclusion s'impose d'elle-même : Le FN progresse autant face au PC que face au PS ou à l'UMP. Cela démontre qu'il dispose de réserves importantes et diversifiées. Dans les cantons où se déroulait un duel droite-FN, la progression de près de 11 points du score du FN ne peut s'expliquer sans reports significatifs d'une partie de l'électorat de gauche. - ... De la même façon, la forte progression du FN face à la gauche indique qu'une part significative de l'électorat de droite du premier tour dans ces cantons n'a pas opté pour le « ni, ni » et a voté Front national au second tour.

L'objection qui voudrait expliquer la poussée du FN par une plus grande mobilisation de son électorat au second tour est rejetée par Jérôme Fourquet : En revanche, on n'observe pas de lien évident entre l'ampleur de la progression du FN entre les deux tours et l'évolution du nombre de suffrages exprimés (indicateur qu'il nous semble plus pertinent à prendre en considération que la stricte participation car, dans ce type de configuration, le nombre de bulletins blancs et nuls est assez élevé et peut venir contrebalancer une hausse de la participation). Comme le montre le tableau suivant, le nombre d'exprimés recule très faiblement dans les cantons où la poussée du FN a été la plus forte mais évolue également assez peu dans les cantons où le vote frontiste a le moins progressé :


Voici,  avec la conclusion générale de cette étude instructive, un passage en revue des meilleurs scores réalisés par le Front National au second tour des Cantonales : Au total, sur les 394 cantons où il était présent en duel au second tour, le parti de Marine Le Pen passe de 25,2 % au premier tour à 35,6 % au second et, en nombre de voix, de 623.682 à 899.944, soit plus de 276.000 suffrages gagnés en une semaine. La progression du FN entre les deux tours concerne les bastions historiques : + 17,2 points à L'Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse, + 17,1 à Guebwiller dans le Haut-Rhin, + 16,9 % au Luc dans le Var ou bien encore + 16 à Canet dans les Pyrénées-Orientales, par exemple, mais également des terres de conquête : + 15,8 points à Marennes, en Charente-Maritime, + 15,3 à Lignières dans le Cher ou + 14,4 à Pleine-Fougères en Ille-et-Vilaine. - Ces chiffres viennent souligner l'ampleur de la « poussée frontiste », ce parti franchissant la barre des 40 % dans pas moins de 83 cantons et dépassant celle des 45 % dans les 22 cantons suivants (voir tableau ci-dessous).



 CQFD.

mardi 12 avril 2011

[Libye 2011] Vers une guerre civile sans fin ? (1)


~ note commencée le dimanche 10, actualisée les lundi 11 et mardi 12 avril 2011 ~

Flux d'actualité [Al Jazeera] [libyafeb17] [Almanara Media] [Nouvel Observateur]

AJDABIYA. - L'AFP [ici] et Reuters [] rapportent que les combats se déroulent actuellement dans cette ville stratégique, dernière place forte avant Benghazi. Et, contrairement aux annonces sans doute prématurées, faites hier par Al Manara Media, la ville pétrolière de Brega semble bien aux mains des loyalistes. Voici ce qu'écrit l'Agence France Presse : De fortes explosions ont de nouveau secoué dimanche la ville d'Ajdabiya (...), au centre de violents combats depuis samedi entre forces fidèles à Mouammar Kadhafi et rebelles ... Plusieurs pick-up des insurgés armés de mitrailleuses et de lance-roquettes se dirigeaient dimanche matin en direction de la ville, qu'ils avaient dû fuir la veille ... "Il y a des bombardements intenses en provenance de l'ouest" d'Ajdabiya depuis des positions loyalistes, a témoigné un habitant, Hafeth Zwai, joint au téléphone par l'AFP. ... - Samedi, les rebelles avaient tenté de s'approcher du site pétrolier de Brega, à 80 km à l'ouest d'Ajdabiya, avant d'être repoussés par une offensive de l'armée loyaliste. Les soldats pro-Kadhafi ont progressé jusqu'à l'ouest de la ville, obligeant les rebelles à se replier à l'est de cette ville, nœud routier desservant Benghazi au nord et Tobrouk à l'est. - De son côté, l'agence Reuters rapporte ceci : "Selon les rebelles, les forces de Kadhafi ont tué au moins quatre insurgés au cours de la deuxième journée de combats pour la ville d'Ajdabiyah. - 'J'ai vu les quatre ce matin. Ils avaient la gorge tranchée et des blessures par balle sur la poitrine, et ils ont été abandonnés sur la route. Leur voiture était également criblée de balles', a constaté un rebelle, Mohammed Saad, à un checkpoint à la sortie Est d'Ajdabiya. - ... Un autre rebelle, Muftah, dit : 'Les forces de Kadhafi sont à l'intérieur d'Ajdabiyah dans des Land Cruiser couleur sable and nous savons qu'il y a également des snipers de Kadhafi habillés en civil dans la ville.' - Près de l'entrée Est d'Ajdabiya, un reporter de Reuters a entendu des fusillades et les impacts de l'artillerie, et il a vu des colonnes de fumée noire, suggérant que les forces  de Kadhafi avancent vers le centre-ville. - Les rebelles, pour la plupart sans entraînement, ont essayé de se réorganiser et de se rééquiper, mais ils étaient incapables de conserver du terrain face aux forces solidement armés de Kadhafi dans la lutte pour Brega, la semaine dernière."

SORTIE DE CRISE. - Au cours d'une interview à paraître dans le Spiegel, le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, déclare qu'il n'y a "pas de solution militaire à ce conflit" [ici]. Il adopte donc la position d'une partie de l'état-major américain, exprimée auparavant. Avec les informations confidentielles et la connaissance du terrain dont l'OTAN et les USA disposent, il ne devrait pas s'agir d'un jugement hâtif. Mais pourquoi s'empresser de le rendre public ? - Lorsque les États-Unis ont émis cet avis "éclairé" par la bouche de Carter Ham, chef du U.S. Africa Command, ils "levaient déjà le pied" en Libye. Avec sa déclaration, M. Rasmussen prévient-il que l'OTAN pourrait en faire autant ? - Sans doute pas, car la conséquence immédiate serait la "victoire militaire" de l'armée loyaliste et le bain de sang promis, qui avait conduit le Conseil de Sécurité de l'ONU à adopter la résolution 1973. - Devant le manque d'équipement, l'absence de stratégie et l'inexpérience de l'insurrection, c'est surtout la couverture aérienne de l'OTAN qui empêche une "solution militaire" de ce "conflit". Dès lors, que faut-il faire ? La zone de non-vol ne peut pas être maintenue indéfiniment. Et, sur le front économique, tout le monde appelle de ses vœux la reprise rapide de l'exploitation du pétrole libyen : Back to business as usual ! - Or, il me semble qu'il n'y a pas non plus de solution négociée à la "crise" libyenne. L'insurrection n'accepte un cessez-le-feu que si les loyalistes se retirent des villes qu'ils "occupent". Lesquelles ? Misrata bien sûr, les environs de Zintan sans doute, Brega et Ajdabiya assurément. Et l'opposition de Benghazi ne veut entamer des négociations sur l'avenir politique du pays que si le colonel Kadhafi et tout son clan quittent la scène. Le régime a déjà refusé les conditions du cessez-le-feu et les dirigeants ne sont pas près de renoncer au pouvoir. - Reste donc, comme je l'ai écrit précédemment, la partition du pays sous la forme d'une sécession de la Cyrénaïque, qui laisserait cependant orphelines les villes de Misrata et Zintan, toujours ardemment disputées ...

YEFREN. - Avec Zintan, Nalout et Kalaa, la ville appartient à la région des montagnes de l'Ouest, proche de la Tunisie. Reuters a pu s'entretenir avec des réfugiés de cette zone de combats et rapporte leurs témoignages [ici] : " 'Les pilonnages... visent des maisons d'habitation, des hôpitaux, des écoles', dit Mohammed de Kalaa, qui a passé la frontière tunisienne à Dehiba avec quelque 500 autres Libyens des montagnes de l'Ouest. 'Personne ne s'intéresse à cette région, qui souffre en silence', a-t-il confié à Reuters, samedi soir. - Hedi Ben Ayed ... originaire de la même ville, a dit : 'Figurez-vous qu'il n'y a plus de vie, là-bas. Les forces de Kadhafi ont utilisé du pétrole pour incendier les puits d'eau potable pour que nous ayons soif ... Croyez-moi, ses troupes ont même abattu les moutons. Vous ne devriez pas m'interroger sur le nombre des morts', a-t-il ajouté. Les dernières victimes, ce sont tous les membres d'une même famille, tués vendredi par des bombardements au hasard.' ... - ... Saïd Amrawi a dit que la menace de viol l'a fait quitter sa maison à Nalout. 'Pour être franc, il n'y a pas de bombardements à Nalout, mais j'ai peur que ma femme et mes filles se fassent violer'." - En effet, les troupes loyalistes ont fait passer le message dans la région qu'ils n'hésiteraient pas à commettre de telles exactions, parmi d'autres. - Un habitant de Yefren lance un appel au secours : "Nous ne voulons pas d'une intervention directe de l'OTAN, mais elle est nécessaire, sinon il ne restera plus personne à Yefren." - Aucune nouvelle de Zintan, dans cette dépêche de Reuters.

OTAN. - La déclaration du lieutenant-général Charles Bouchard, commandant de l'Opération Protecteur Unifié [ici].  : "La situation à Ajdabiya, et à Misrata en particulier, est désespérante pour ces Libyens qui sont pilonnés brutalement par le régime. Pour aider à protéger ces civils, nous continuons à frapper durement ces forces, avec 11 chars détruits aujourd'hui à l'approche d'Ajdabiya, et 14 chars détruits plus tôt ce matin dans les faubourgs de Misrata".

SYRIE. - L'AFP (via Le Figaro) rapporte ce soir [ici] :  Les forces de sécurité ont ouvert le feu aujourd'hui à Banias, dans le nord-ouest de la Syrie, faisant au moins trois morts, ont indiqué des témoins, alors que la tension reste forte dans le pays deux jours après des manifestations qui ont fait 26 morts à Deraa, dans le sud. - Des "tirs nourris de forces de sécurité visent depuis environ deux heures le quartier sunnite de Ras al-Nabee, où se trouve la mosquée d'Al-Rahman", centre de la contestation, ont déclaré dimanche après-midi deux témoins, précisant que les tirs provenaient du quartier d'Al-Qouz... - "Il y a au moins trois morts et douze blessés", ont indiqué à l'AFP les témoins qui ont précisé les noms des morts. "C'est un véritable massacre, il y a des snipers qui tirent pour tuer", a dit l'un d'eux.

FEUILLE DE ROUTE. - Avant de se rendre demain à Benghazi, une délégation de l'Union Africaine conduite par le président sud-africain, Jacob Zuma, est arrivée ce dimanche à Tripoli dans le but de soumettre sa feuille de route pour une "sortie de crise" au colonel K., qui  l'aurait acceptée. Anita McNaught d'Al Jazeera nous en donne les points essentiels :
1. Cessez-le-feu et protection des civils.
2. Aide humanitare pour les Libyens et les ouvriers étrangers, notamment africains.
3. Dialogue entre les deux camps.
4. Période transitionnelle ferme.
5. Des reformes politiques  "en rapport avec les aspirations du peuple libyen".

Sur la route du désert, entre Ajdabiya et Brega  (photo : reuters via al jazeera)


vendredi 8 avril 2011

L';Europe et les Nations

 LA PARTICIPATION ALLEMANDE

Le dimanche 27 mars 2011, le jour du second tour des Cantonales, des élections régionales avaient également lieu en Allemagne, dans les Länder de Bade-Wurtemberg et Rhénanie-Palatinat. La participation a été de 66,24% dans la première région [ici] et de 61,81% dans la seconde [], contre moins de 45% en France pour les deux tours [44,32% et 44,77%, ici] !

Il faut bien sûr, comme on le dit souvent en pareil cas, "comparer ce qui est comparable" :  Outre-Rhin, il s'agissait d'élections "régionales" et non "cantonales". Or, les élections régionales françaises des 14 et 21 mars 2010 ont donné lieu à une participation de 46,33% au premier tour et de 51,21% au second [ici].

La raison de cette différence importante entre les taux de participation est relativement évidente. L'Allemagne est une république fédérale. Les 16 Länder qui la composent jouissent d'une certaine autonomie et les deux élections, qui viennent de s'y tenir, aboutissent à la formation d'un gouvernement régional sous l'autorité d'un Premier ministre, dans les deux cas une coalition "rouge-verte" entre sociaux-démocrates et écologistes, avec au Bade-Wurtemberg un Premier ministre ("ministre-président") des Verts, ce parti étant arrivé en tête du suffrage. - Les compétences des Länder, qui ont été accrues par la réforme de 2009, concernent entre autres l'éducation (primaire, secondaire, universitaire), la culture, la radio-diffusion avec les déclinaisons régionales de la troisième chaine publique (radios et TV) bien plus autonomes et diversifiées qu'en France, le traitement et les droits des fonctionnaires régionaux, la police du Land, l'administration pénitentiaire, l'environnement ... - De plus, les représentants des 16 Länder forment le Conseil fédéral, le Bundesrat, qui participe à la législation fédérale.